« Quand je vois la police, je tremble » : le double traumatisme de femmes victimes de violences qui portent plainte

Alors que l’égalité entre les hommes et les femmes était la « grande cause nationale » du premier quinquennat Macron, des victimes de violences sexistes et sexuelles (VSS) rencontrent aujourd’hui de grandes difficultés à porter plainte. Entre mauvais accueil, violences verbales et psychologiques, sexisme ou racisme, se rendre dans certains commissariats et gendarmeries représente un double traumatisme pour les victimes. Un article d’Eléna Roney pour INDEX.

Publié le 31.01.2025

« Pendant les rapports intimes, mon ex m’étranglait, m’étouffait avec ses genoux, me forçait. Quand j’ai porté plainte pour violences conjugales et sexuelles, je l’ai raconté. Plus tard, lors d’un appel téléphonique avec la gendarmerie pour dénoncer de nouveaux faits de violence, le gendarme qui m’a répondu m’a traitée de “pute”. J’ai tellement regretté de leur en avoir parlé, » hoquette d’une traite Nadine* (le prénom a été modifié), en pleurs. Entre 2020 et 2023, elle a déposé neuf main courantes et onze plaintes pour violences conjugales et sexuelles, toutes classées sans suite, malgré de nombreux jours d’ITT. « Je suis beaucoup allée à la gendarmerie de Saint-Germain-lès-Corbeil, là où j’habitais. On a refusé de nombreuses fois de prendre mes plaintes pour violences conjugales. » Contactée, la gendarmerie n’a pas donné suite.

Un comportement contraire à la loi pour les policier·es et les gendarmes. L’article 15-3 du Code de procédure pénale prévoit ainsi : « La police judiciaire est tenue de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions à la loi pénale. » En 2019, le Conseil de l’Europe avait souligné dans un rapport les manquements de la France dans la lutte contre les violences faites aux femmes, notamment en ce qui concerne l’accueil des victimes par les forces de l’ordre. 

Les faits cités ci-dessus sont loin d’être des cas isolés. De très nombreuses femmes relatent un accueil catastrophique, voire violent, dans différents commissariats et gendarmeries. En 2019 également, le gouvernement avait lancé le Grenelle contre les violences conjugales dont l’un des objectifs affichés était d’améliorer l’accueil des femmes dans les commissariats et les gendarmeries. En 2021, le collectif #NousToutes avait lancé une enquête intitulée #PrendsMaPlainte, qui avait récolté en 15 jours plus de 3 500 témoignages de personnes racontant dans leur majorité avoir été mal reçues par les forces de l’ordre. 

Pourtant, le ministère de l’Intérieur déclarait à cette époque que « 90% des femmes ayant porté plainte en 2020 pour des faits de violences conjugales étaient satisfaites de l’accueil en commissariats et gendarmeries. » Contactés ni l’Inspection Générale de la Police Nationale, ni l’Inspection Générale de la Gendarmerie Nationale n’ont donné suite. « Encore aujourd’hui des témoignages, on en reçoit quotidiennement » indique Linda, militante à #NousToutes. « Il y a des refus de plainte, de la banalisation, de la minimisation. Un jugement est porté sur les personnes et sur leurs valeurs. La faute est souvent mise sur la victime, ce qui n’est pas le cas pour les autres crimes. On ne demandera pas à une personne qui a été volée si elle était consentante, on ne questionnera pas le contexte ou ses comportements antérieurs pour prouver que c’est de sa faute et donc ne pas condamner l’auteur·e », souffle-t-elle. 

« Dégagez, allez prendre vos cachets »

Pour INDEX, elles sont six à avoir accepté de témoigner, anonymement ou non, sur la mauvaise réception et les violences verbales qui leur ont été infligées par des policier·es ou des gendarmes, lorsqu’elles ont voulu porter plainte pour des violences sexistes, sexuelles et conjugales. Le ministère de l’Intérieur interrogé spécifiquement à ce sujet n’a pas commenté ces comportements. 

Pour Alison Blondy, tout commence en 2016. Elle rencontre un homme qui progressivement lui inflige des violences psychologiques, financières, physiques, et sexuelles. En 2019, elle se décide à porter plainte, notamment pour viols et violences physiques. Le policier qui la reçoit la première fois lui dit : « Je note, mais les violences ne seront pas prises en compte. » Les violences continuent et Alison enchaîne les dépôts de plaintes au commissariat de Châlons-en-Champagne. « À partir de ce moment-là, je suis mal reçue. On me dit d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs, on me demande pourquoi je me suis mise en couple avec un mec pareil, qu’on en a marre de me voir, » raconte-t-elle. Une fois, Alison est poursuivie en voiture par son ex-conjoint. Sa fille de trois ans est avec elle dans le véhicule. Elle fonce vers le commissariat, la porte lui est entrouverte. Alors qu’elle explique sa situation, on lui signale que le commissariat est fermé, qu’elle doit se rendre ailleurs. « Je me disais que mon ex allait finir par me tuer » soupire-t-elle. 

Lors de son dernier dépôt de plainte pour viol, Alison est rappelée par le policier qui avait pris sa déposition, qui lui propose un rendez-vous amoureux. « Là je me suis vraiment dit : “ok on ne va rien faire pour moi.” » Par la suite, Alison déménage, et porte plainte dans un autre commissariat, à Chennevières-sur-Marne : « Là on m’a tout de suite pris au sérieux, on a su me poser les bonnes questions, me rassurer, et me dire “On te croit.” » En 2023,  l’ex-conjoint d’Alison est condamné à 12 ans de réclusion. Une histoire « regrettable », commente l’actuel chef du commissariat de Châlons-en-Champagne, qui assure ne pas avoir connaissance du calvaire d’Alison, puisqu’il n’était « pas en poste » au moment des faits. « Depuis plusieurs années, nous faisons beaucoup d’efforts pour que les victimes de violences sexuelles et sexistes soient traitées de manière respectueuse », affirme-t-il, sans pour autant détailler si des mesures effectives, comme la désignation d’une personne référente en la matière, ont été mises en place. Par ailleurs, dans ce même commissariat, quatre policiers avaient été jugés en 2019 pour violences aggravées et harcèlement moral à l’encontre d’une de leurs collègues en raison aussi, mais pas seulement, d’insultes sexistes. Deux ont été condamnés à quatre et cinq mois d’emprisonnement avec sursis et deux ont été relaxés. 

Ce manque de prise au sérieux des victimes a également été vécu par Julie*. Ne désirant pas porter plainte, elle a déposé deux mains courantes en 2020 dans une gendarmerie de l’Ain pour violences verbales et physiques perpétrées par son conjoint. La première fois, Julie est « très bien accueillie. » Mais pas la seconde… Elle retourne dans la même gendarmerie après un nouvel épisode de violences, afin de déposer de nouveau une main courante, car « en cas de souci, au moins c’était noté quelque part. » Mais les gendarmes refusent de la prendre, et lui posent un ultimatum : « Soit vous portez plainte, soit on ne prend pas votre main courante. (…)  C’est parce que j’ai pleuré et insisté qu’ils ont accepté de la prendre. se rappelle Julie. À mon arrivée, un gendarme était en train de se changer dans le hall. Ce même gendarme, au moment où je posais ma main courante, me disait “Mais il faut divorcer, vendre la maison.” Je voulais lire la feuille sur laquelle j’avais consigné tout ce que je voulais mettre dans ma main courante pour ne rien oublier, mais cela m’a été refusé. » Elle poursuit, désabusée : « C’est déjà tellement dur d’y aller, on a honte, on est blessées. Et on nous reçoit en nous mettant la faute dessus. »

Pour Myriam*, ses différents passages en commissariats et gendarmeries s’apparentent à de véritables traumatismes. Entre 2021 et 2024, elle a déposé plusieurs plaintes pour menaces de mort, harcèlement, chantage, viol, violences physiques et verbales contre son ex-conjoint, toutes classées sans suite. Suite à leur rencontre en 2015 alors qu’il est incarcéré pour meurtre – ce que Myriam ignorait, son ex-conjoint lui ayant d’abord indiqué qu’il était incarcéré pour six mois – ils se marient en 2019. Une semaine plus tard, il la viole au parloir. A l’extérieur, Myriam est menacée par des proches de son ex-conjoint. Ce dernier profite de leur situation maritale pour obtenir des permissions de sortie. Elle décide alors de porter plainte en 2021, « la peur au ventre de dénoncer mon bourreau déjà incarcéré pour meurtre et violences conjugales. » Elle se rend au commissariat d’Avignon, où l’on refuse de prendre sa plainte. Idem quelques temps plus tard pour les gendarmeries de Villeneuve-Loubet, et du Pontet. « Au Pontet, quand j’ai parlé des violences sexuelles, les gendarmes ont rigolé, et ont refusé de qualifier ces violences en agression sexuelle. Ils n’en avaient rien à foutre. Ils m’ont menacé de me placer en garde à vue parce que je discutais avec un détenu par téléphone. » Elle poursuit : « Plus tard, j’ai appris qu’ils avaient perdu mon certificat d’ITT de huit jours que j’avais fourni en parvenant finalement à déposer plainte, et qui m’avait été délivré par les unités médico-judiciaires à la suite des violences que je subissais. » Contactée, la gendarmerie du Pontet n’a pas souhaité faire de commentaire. La compagnie de gendarmerie départementale de Cannes, dont dépend celle de Villeneuve-Loubet, n’a pas non plus souhaité donner suite à notre demande. 

Un jour, Myriam se rend à la gendarmerie de Villeneuve-Loubet pour vérifier l’avancement de sa plainte. « Quand j’arrive dans la gendarmerie, ils m’attrapent à quatre par les bras, me font pleurer, et me font sortir. Ils me disent : “vous portez plainte ou pas ?” Comme je leur dis oui, ils me font rentrer dans la gendarmerie. Une autre fois, ils m’ont dit que j’encombrais le service public. » Il y a quelques jours, elle s’y est rendue de nouveau pour dénoncer les pressions que subissait sa mère de la part de son ex-conjoint. « Ils se sont dits entre eux, “ne parle pas avec elle” puis en s’adressant à moi “dégagez, allez prendre vos cachets.” » Traumatisée, elle est en situation de stress post-traumatique, perd des dents, vomit, et a dû être hospitalisée à plusieurs reprises pour des tentatives de suicide. Elle écrit régulièrement des lettres au procureur pour signaler ces dysfonctionnements, mais rien ne bouge. « J’ai peur de mourir, »
lit-on dans un courrier qu’elle a adressé au juge d’application des peines, « que ce soit par [l]es gestes [de mon ex] ou ma propre main. »

« Les hommes sont supérieurs aux femmes parce que Dieu l’a voulu »

Les mêmes dynamiques sont à l’œuvre dans les centres ville urbains. Clara Achour a été confrontée au mépris des policiers dans un commissariat parisien. « En 2018, j’ai été violée plusieurs fois après une soirée, au cours de laquelle j’avais été droguée par un ami. Quand je suis allée porter plainte le lendemain, je suis tombée sur des policiers pas du tout formés. Les locaux, décorés par leur soin, étaient tapissés d’affiches de “mascu”. Sur l’une d’elles il y avait écrit une phrase du style “les hommes sont supérieurs aux femmes parce que Dieu l’a voulu”. Je faisais ma déposition au même étage que d’autres personnes, toutes portes ouvertes, sans aucune intimité. »

Auditionnée par l’officier chargé de l’enquête, elle s’étonne de l’évident manque de formation aux VSS de l’agent. « Il me demandait régulièrement : “Pourquoi vous ne vous êtes pas défendue ? Comment avez-vous fait pour la gestion de la douleur ? Est-ce que vous trouvez ça normal de dormir avec un garçon ? Vous savez ce que vous risquez à déposer une fausse plainte ?” » Clara indique : « Je lui ai dit que j’allais retirer ma plainte et que ce serait de sa faute si je me suicidais. C’est pour ça qu’il m’a retenue. Mais après ça je n’étais plus du tout en confiance. » En 2022, l’homme contre qui elle avait porté plainte pour viol a été acquitté par la Cour d’Assises de Paris.

Face aux mauvais traitements des institutions policières et judiciaires, Clara Achour a déposé cette même année un recours auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) contre la France, pour déni de justice face à l’acquittement de l’homme qui l’aurait violée, et pour non respect de la Convention d’Istanbul concernant le traitement des victimes de violences sexuelles. Elle attend aujourd’hui la décision de la CEDH, qui devrait rendre son jugement dans les prochaines semaines. 

Le cas de Stéphanie est particulier. Son « bourreau », comme elle appelle son ex-mari, est officier supérieur de gendarmerie. « Il me violentait dans la caserne où on habitait. L’officier de permanence, alerté par les voisins, a dû se déplacer plusieurs fois chez nous pour intervenir » raconte-t-elle. « Au début, je ne voulais pas porter plainte. Puis un jour, il a pointé son arme de service sur ma tempe. J’ai clairement eu peur pour ma vie. » En 2021, elle dépose une première plainte. Alors qu’elle habite en ville, où les enquêtes sont normalement confiées à la police, des investigations et des auditions sont menées en interne par la gendarmerie dans laquelle elle vit. « Un soir, mon ex-mari devenait fou, j’ai appelé la police. Et ce sont les gendarmes qui sont venus chez nous. » 

Un jour, Stéphanie découvre que son ex-mari a vidé la maison qu’ils possèdent en Bretagne, et qu’il a pris avec lui des armes à feu. Elle porte de nouveau plainte en 2022. « Une brigade de gendarmerie en région parisienne m’appelle, je n’ai pas compris pourquoi ce n’était pas la police qui s’en occupait. » À la suite de sa plainte pour violences conjugales, son mari est muté et reçoit la légion d’honneur. Stéphanie rapporte que son ex-conjoint avait anticipé le fait qu’elle déposerait une plainte contre lui. Ainsi, il l’aurait filmée plusieurs fois à son insu, comme le jour où « pour [se] défendre d’une énième violence verbale », elle le gifle. À l’appui de cette vidéo, il porte plainte contre elle. « J’ai eu l’impression qu’il était directement pris au sérieux. J’ai tout de suite été convoquée. On me traitait de folle. On m’a auditionnée pendant plus de cinq heures pour cette histoire. »

« Vous avez une belle maison, et vous osez dire que vous voulez déposer plainte contre votre compagnon ? »  

L’ex-conjoint de Nadine – la même qui témoigne au début de cette enquête – a également adopté cette stratégie de porter plainte contre elle, afin d’anticiper toute déposition. « Il a porté plainte contre moi dans la même gendarmerie de Saint-Germain-lès-Corbeil, alors qu’on refusait les miennes. Il a inventé que je l’étranglais et que je l’enfermais dans la chambre. J’ai été placée de 12h à 17h en garde à vue, sans eau, sans nourriture. Je précise que lorsque j’ai voulu poser ma première plainte en 2020, on m’a dissuadée. Une fois, après avoir refusé de prendre ma plainte, un gendarme m’a suivie jusque chez moi, il est entré dans la maison accompagné de mon ex et il m’a dit : “Vous avez vu où vous habitez, comme vous avez une belle maison, et vous osez dire que vous voulez déposer plainte contre votre compagnon ? S’il se lève le matin pour aller travailler, c’est pour vous.” » 

Nadine se souvient que « lorsque mon ex me frappait », les gendarmes « refusaient d’intervenir. Mais ils venaient quand c’était lui qui les appelait, pour m’intimider. La seule fois où ils sont venus pour m’aider, c’était parce que des voisins les ont appelés. Ce jour-là, j’ai eu plusieurs jours d’ITT, mais malgré ça et la présence de témoins, ils ont refusé de prendre ma plainte. » Elle l’a alors déposée dans un autre commissariat, « mais elle a été classée sans suite car c’est la gendarmerie de Saint-Germain-lès-Corbeil qui était chargée de l’enquête. » Dans la plainte déposée par l’ex-conjoint de Nadine, il affirme qu’elle est suicidaire et qu’elle s’est blessée toute seule. « Je l’ai surpris en train de mettre une poudre blanche dans mon bol de soupe une fois. Alors je me suis dit que cette plainte, c’était au cas où il me tuait, il pourrait dire que c’était moi qui m’étais donnée la mort, » raconte Nadine.

« C’est une stratégie souvent adoptée par les agresseurs », explique Stéphanie Le Gal-Gorin, sociologue spécialiste de la lutte contre les VSS qui  travaille dans un accueil de jour pour les femmes victimes de violences conjugales et sexuelles en Bretagne, qu’elle accompagne tout au long de leurs différentes démarches. « Les hommes qui vont déposer plainte pour violences conjugales sont parfois mieux reçus que les femmes, en raison de biais sexistes. Car ceux qui les reçoivent se disent qu’ils sont forts d’avoir eu le courage de venir, » explique la chercheuse. 

« Ici, les Maghrébins on ne les aime pas »  

Pour certaines femmes, d’autres discriminations s’additionnent au sexisme. Ainsi, en plus du mépris dont elle a fait l’objet, Nadine – qui n’est pas Française – a été également victime de racisme, puisqu’elle s’est vue refuser des plaintes en raison de sa nationalité. Un gendarme lui a même lancé : « Vous savez, ici les Maghrébins on ne les aime pas. » Pour un autre, son ex-conjoint est « un compatriote français. »

« Même s’il y a des endroits où ça se passe bien, notamment ceux où il y a des référent·es violence, il y a beaucoup de commissariats et gendarmeries où les personnes sont mal accueillies, » estime Violaine Husson, responsable des questions Genre et Protections à la Cimade, une association de protection et d’aide aux personnes migrantes. « C’est souvent impossible d’avoir des interprètes et on demande aux femmes étrangères de venir avec des preuves pour porter plainte, ce qui est illégal. » Dans les cas les plus graves, des femmes qui étaient allées porter plainte pour violences se seraient retrouvées en garde à vue avant d’être placées en centre de rétention. Trois auraient été expulsées de France, d’après Violaine Husson. 

Les travailleuses du sexe (TDS) sont également doublement discriminées, du fait de leur métier. Berthe De Laon, Coordinatrice de la Fédération Parapluie Rouge, qui regroupe des collectifs de défense et de santé des TDS, rapporte les propos de certain·es policier·es et gendarmes à l’égard de ces travailleuses : « On leur dit : “Madame vous n’avez pas été violée, c’est votre travail.” Dans d’autres cas on les oblige à donner le nom de leurs exploiteurs. Sauf qu’elles se mettent en danger si elles dénoncent quelqu’un. » 

« Le comportement des forces de l’ordre à mon égard est un double traumatisme »  

Le refus d’accueillir les plaintes des victimes de VSS et leur mauvais traitement au sein de l’institution policière porte un nom chez les spécialistes : la « victimisation secondaire ». Pour illustrer le concept, Stéphanie Le Gal-Gorin raconte le cas d’une victime de viol qu’elle a suivie. Cette personne, qui avait une hémorragie vaginale liée aux violences subies, s’est entendu dire par un gendarme de la Brigade de Recherche et d’Intervention qui l’auditionnait : « C’est un jeu sexuel qui a mal tourné. » 

Le manque de protection peut également contribuer à cette victimisation ultérieure, comme le dit Nadine. « Le comportement des forces de l’ordre à mon égard est vraiment un double traumatisme », estime-t-elle, « j’ai cru que mon ex allait me tuer et derrière je ne suis pas protégée. À cause d’eux, il peut continuer à m’agresser. Maintenant, quand je vois la police ou les gendarmes je tremble, j’ai peur. » En 2023, selon le ministère de l’Intérieur, parmi les 96 femmes victimes de féminicides, 39% avaient déjà subi des violences. Au sein de ces 39%, 81% avaient signalé ces violences aux forces de sécurité intérieure, dont 90% en portant plainte. 

Un environnement patriarcal, empli de stéréotypes sexistes

Comment expliquer le comportement des policier·es et des gendarmes face aux femmes victimes de violences ? Une des pistes privilégiées par les chercheur·euses est le poids d’un environnement largement sexiste et patriarcal. Selon les chiffres de l’INSEE, les  femmes représentaient seulement 21% des effectifs de police et de gendarmerie en 2019. Un contexte qui explique pourquoi « ce qui ressort des récits des femmes victimes de VSS, c’est la présence de nombreux stéréotypes sexistes qui empêche la compréhension des dynamiques de la violence de genre » de la part des forces de l’ordre, affirme Cristina Oddone, docteure en Sociologie, enseignante-chercheuse à l’ENSEIS d’Annecy et chercheuse associée au centre Max Weber, qui a interrogé plusieurs victimes de violences conjugales qui ont porté plainte. Pour elle, « les agents auraient tendance à lire les violences comme des disputes entre conjoints et à sous-estimer le danger pour les femmes et les enfants. »

Une « tendance » qui n’est pas sans lien avec « les parcours de vie des gendarmes et des policiers, remplis de stéréotypes sexistes, jamais déconstruits, » renchérit Stéphanie Le Gal-Gorin, qui souligne le fait qu’elle « accompagne ainsi un certain nombre de victimes qui sont d’anciennes compagnes de gendarmes ou de policiers. » 

A côté de cette dynamique patriarcale, s’associent aussi des facteurs liés à la géographie. « Parfois, dans les milieux ruraux, il peut y avoir une interconnaissance forte entre les forces de l’ordre et la population », indique Jérémie Gauthier, sociologue à l’Université de Strasbourg et à Sciences Po Paris, qui travaille depuis plusieurs années sur les questions policières. Une proximité qui peut favoriser « des solidarités masculines entre des gendarmes et des hommes mis en cause par leur conjointe. » Selon lui, il y a aussi une question liée à ce qui est considéré comme valorisant au sein de l’institution policière. « La priorité pour les forces de l’ordre est le plus souvent de qualifier des infractions pénales. Par conséquent, l’accueil des femmes victimes de violences a tendance à valoriser cet objectif au détriment parfois d’autres attentes que ces dernières peuvent formuler, » explique-t-il. 

Un besoin urgent de formation 

Face à ce double traumatisme subi par des victimes de VSS, plusieurs solutions sont avancées. Stéphanie Le Gal-Gorin martèle : « Il faut avoir une base commune de formation, afin que chacun·e puisse déconstruire ses représentations et avoir une posture non jugeante lorsqu’il ou elle reçoit une victime. » Une perspective qui montre comment « le métier de policier ne relève pas uniquement du pénal, mais aussi du social », selon Jérémie Gauthier, pour lequel « des résultats intéressants sont observés lorsque les conditions du métier permettent justement de faire autre chose que de la pure judiciarisation, comme par exemple lorsque des moyens sont donnés à la création de brigades spécialisées dans la prise en charge de femmes victimes de violence. » De son côté le ministère de l’Intérieur précise à Index : « Depuis le Grenelle contre les violences conjugales, 160 000 gendarmes et policiers en fonction ont été formés pour prendre en charge les victimes de violences intrafamiliales. » A noter qu’en 2019, l’État employait 224 000 policier·es et gendarmes selon l’INSEE. Le ministère poursuit :
« Il existe plus de 2500 référents violences intrafamiliales (VIF) dans tous les commissariats et brigades de gendarmerie. »

Des solutions à mettre en place urgemment, car elles sont synonymes d’espoir pour les victimes. C’est ce qu’affirme Alison Blondy : « Tomber sur des policières formées, à l’écoute, extraordinaires, ça m’a vraiment redonné confiance. M’entendre dire « On vous croit », c’était incroyable. Cela illustre bien le fait que si les agents étaient mieux formés, ça permettrait aux femmes de porter plainte, et éviter de souffrir deux fois. »


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